Juillet/Août


Samedi 29 juillet
Me serais-je lassé de cette écriture au fil des événements, de cet exercice de consignation des faits saillants ? L'écriture ne m'agrippe plus depuis de trop nombreuses semaines, d'une densité pourtant non négligeable.
Je profite d'être sous le toit d'une des romancières les plus lues dans l'hexagone pour reprendre la plume, avec une appréhension non dissimulée.
Madeleine a bien évidemment accepté de préfacer l'édition des Souvenirs de Saintes de Robert Rivaud, le feu receveur principal de la ville et grand ami de son père, Robert.
Cette visite prend des allures de villégiature.
Dès ma descente de train à Limoges, je retrouve Madeleine pour visiter la propriété abandonnée d'un Américain iconoclaste, Karl-Edward Haviland. Epris de la porcelaine limogeote et n'ayant pas la possibilité d'en importer suffisamment dans son pays, il décide de créer sa propre fabrique. Magnifique aventure humaine qui lui apporte la fortune. De là, à partir d'une vieille bâtisse sans prétention, il modèle son paradis : le château du Reynou et ses soixante-dix hectares de terre. D'un physique de patriarche, mais poète dans l'âme, il ne se doutait peut-être pas que ses enfants s'entre-déchireraient. Le domaine est alors racheté par un Japonais qui tente d'y établir un séminaire pour petits orientaux amoureux de la civilisation française. Il fait refaire toute la toiture et découper le second étage en petites chambres austères. Comble pour un homme du Soleil levant, il fait faillite, à croire que la propriété porte malheur. La vente du domaine est faite à la banque Tarneaud qui n'a aucun moyen de l'entretenir et cherche aujourd'hui à s'en débarrasser.
Nous arrivons sur les terres d'Haviland, glissant vers un autre monde. La grosse Volvo empreinte les sentiers et nous nous arrêtons près des dépendances. L'abandon par les hommes profite à la nature qui redouble de vigueur pour tout envahir.




Pascale L., amoureuse du lieu et en préparation d'un mémoire sur son créateur, doit nous faire visiter l'intérieur du château.
Nous profitons de notre avance pour plonger dans la luxuriance du parc aux mille essences. Chacun armé d'un appareil photographique jetable, nous mitraillons les arbres et les épineux plus que centenaires, le château qui trône et se cache derrière cette verdure incontrôlée, les dénivellations et les marécages, la piscine et les petits ponts de béton imitation vieux bois et couverts de mousse naturelle. Les émotions se contredisent : séduction par la magie du site et tristesse de sa désertion par les hommes.
Si les conseils général et régional unissaient leurs moyens financiers, ce pourrait être un fantastique parc naturel, et notre association culturelle pourrait établir dans les murs un gigantesque centre de la monographie des villes et villages du monde entier. Fabuleux projet, mais ô combien semé d'embûches et de difficultés pour sa réalisation.
L'intérieur du château nous navre plus encore. Dès l'entrée, le vandalisme s'impose dans sa plus sommaire stupidité : fenêtres cassées, restes d'un début d'incendie... Les pièces n'ont plus l'aspect que de vieilles carcasses dorées. Dans deux salles du bas, le Japonais a installé des jakusis. Le côtoiement des genres laisse songeur.

Dimanche 30 juillet
Suite de la visite.
Les pièces du château farfelu ne livrent pas tous leurs secrets. Leur nudité brute de décoffrage parachève l'abandon du lieu. Un homme était parvenu à réaliser son paradis terrestre et une génération a suffi pour l'anéantir. L’infernale déliquescence a de supérieur à la vertu constructive d’aller dans le sens naturel des hommes.
Nous rejoignons ensuite Eymoutiers et la propriété de Madeleine, dite Château de la Sauterie. Dans la voiture, elle me montre la colline abondamment boisée et toutes les terres alentour qui lui appartiennent : au total soixante-dix hectares. Nous tournons dans une espèce d'allée cavalière bordée d'arbres qui forment un dôme parfait. Les chiens de Madeleine, Léon et Lola, courent à notre rencontre et nous fêtent dans la Volvo.
La grosse demeure est de type féodal, en pierres de taille avec une tour ronde accolée. Magnifique endroit : la bâtisse surplombe un parc entretenu avec goût et des bois abondants. Un lieu de ressourcement par excellence. L'intérieur est rustique et cossu. La chambre d'amis est d'une autre époque, le bois règne en maître avec tableaux, objets précieux et vieux ouvrages. La salle de bain est immense. Je suis reçu comme un prince.
Le soir, dans le grand lit de bois, je feuillette quelques bouquins anciens, notamment une Encyclopédie pratique des connaissances utiles ainsi qu'un ouvrage sur les sarl et leur régime d'après la loi du 7 mars 1925 écrite par le grand-père de Madeleine, Fernand Chapsal, sénateur, rapporteur devant le Sénat, directeur honoraire au ministère du commerce et de l'industrie, ancien ministre. Je jette aussi un œil sur un dactylogramme qu'une dame a envoyé à Madeleine, après avoir appris qu'elle connaissait un éditeur de régionalisme pratiquant le tirage limité. Je m'endors ensuite comme une loutre.
Le vendredi, avant notre départ pour Saintes, Madeleine me fait découvrir le nouveau musée consacré au peintre Ribeyrolles, encore vivant. Je découvre des toiles gigantesques où la noirceur de la vision fait parfois frémir.
Après avoir rendu visite à Mme J., la libraire d'Eymoutiers, nous nous rendons à Nedde, pour y admirer la porcelaine Haviland.
Le voyage vers Saintes ; l'arrêt à Jarnac au musée des donations de François Mitterrand ; la découverte de la demeure bourgeoise et de son jardin intérieur ; la connaissance de la tante Fernande, sœur de Robert Chapsal, 88 ans aujourd'hui, et du couple D. ; visite le samedi à Jeanne R., recherche de vieilles photos ; la plage de Royan où ont été photographiés Robert Chapsal et ses deux filles, vue retenue pour la couverture de Cent ans de ma vie.
Attentat terroriste en France. La dernière émotion que j'ai eue liée à l'actualité n'avait pas cette proximité avec l'événement. Il s'agissait de l'extermination systématique des habitants d'une ville de la feue Yougoslavie par je ne sais plus quelle partie belligérante. Là, le coup est plus rude, source d'une incontrôlable méfiance envers mes congénères.
A la station Saint-Michel, dans le RER B, la bombe de plusieurs kilos déchire les parois du wagon, foudroie les fenêtres et projette les débris tous azimuts. Des corps de dizaines de personnes en chopent au passage. L'abondante fumée évacuée, la sanguinolence s'offre, avec gémissements et appels désespérés.
Dans l'ensemble, les voyageurs indemnes restent calmes, comme abasourdis et pétrifiés de terreur par le macabre spectacle. Les secours s'organisent très vite, l'efficacité est de rigueur.
Le drame m'est d'autant plus proche que je connais par cœur le quartier Saint-Michel et que j'ai emprunté très souvent ce rer pour descendre à Luxembourg (une station plus loin) et me rendre à l'université de Paris I.
Sitôt informé de la folie terroriste, je me projette mentalement sur les lieux et je retiens un gerbage de dégoût.

Mercredi 2 août
Lutèce m'attend. Je quitte Madeleine Chapsal qui me remercie de ce séjour. Je ne puis qu'en dire autant.
Bravo au président Jacques Chirac d'avoir emmerdé tous les gesticulateurs écologiques et décidé la reprise des essais nucléaires. Toutes ces nations, l'Australie en tête de proue, qui fustigent notre pays, ne se remuent pas beaucoup dans le règlement des conflits internationaux.
Tester ma capacité à écrire dans un lieu animé me démontre le parasitage destructeur qui terrasse chaque germe de ma pensée. Le seul moyen pour que l'inspiration et la réflexion ne se vautrent pas dans l'inconsistance, c'est l'absorption de quelques boissons alcoolisées. Les limbes qui se forment entre les alentours et mon propre univers littéraire sont alors suffisamment épais, pour ne pas me laisser phagocyter par la puissance attractive du monde environnant, et assez fins pour que je m'imprègne des faits qui appuieront mes vaga­bondages.
Quelle pitoyable farce nous joue l'Organisation des nations unies et ses membres ? La SDN a disparu pour moins que cela.
L'union actuelle rassemble la meilleure mouture de ce qui peut se concevoir dans l'inefficacité décisionnelle, la stérilité de toute concertation et l'indétermination de toute résolution. Un fatras d'inutilités, d'intérêts inconciliables, de misérabilisme gouvernemental, qui coûtent une fortune à la prétendue communauté internationale.
Tant qu'une puissance ne prend pas la décision d'intervenir à titre personnel, comme les Etats-Unis, lors du conflit irako-koweïtien, rien ne peut être espéré des réunions des Onusiens pour la parade, pauvres fonctionnaires en proie à l'indécision qui désespère les plus obstinés. En attendant, les cadavres restent une récolte facile pour les guerriers terrorisants.
L'ordre juridique international ? La plus formidable escroquerie intellectuelle des démocraties occidentales.

1 commentaire:

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